Ses cheveux roux flamboyants dansaient autour des ses joues roses. Son nom avait été appelé. Étonnement, cette cérémonie de répartition la laissait de marbre. Jeune française, appelée à porter un jour l'avenir d'un peuple sur ses épaules, ses parents avaient jugé préférable d'envoyer Prudence à Lungard. Là où les idéaux révolutionnaires ne la toucheraient sûrement pas. Elle s'était alors élancée vers l'estrade, vaguement consciente que tous les regards étaient dardés vers sa chevelure. Elle n'en avait cure, puisqu'elle hésitait encore entre deux factions. Les Sincères et les Fraternels. En tant que future Reine, elle ne savait pas ce qui était susceptible de lui faire honneur – peut-être se trompait-elle totalement, peut-être n'était-elle pas prédestinée à rejoindre l'un de ces groupes. En grimpant les marches qui la menaient à l'estrade, ses yeux balayaient les éléments qui s'offraient à elle. Manifestement, son cœur balançait pour l'une des factions ; ses doigts s'enroulèrent autour du manche du couteau. La pointe de l'arme entailla sa paume. Ses lèvres frémirent. Pour la première fois de sa vie, elle se mutilait face à plusieurs centaines paires d'yeux attentifs – des personnes qui, malgré leur attente, n'avaient sûrement cure de l'obédience qu'elle choisirait. Après quelques secondes d'hésitation, elle porta sa main au-dessus de la coupe remplie de terre ; les Fraternels avaient toujours su s'attirer ses faveurs et représentaient, à ses yeux purement idéalistes, ce qu'il lui fallait pour évoluer correctement. Pour devenir une Reine digne de ce trône qui l'attendait sagement.  


Destitués, ils avaient été destitués. Les mâchoires de Prudence se crispèrent. Sentant visiblement la tension qui émanait de sa sœur, Astéria tendit ses doigts hésitants vers sa main, enlaçant ses phalanges. Prue lui rendit son étreinte. Aussitôt, les questions la frappèrent de plein fouet – qu'allait-elle devenir ? Elle devait être Reine, cela avait été écrit. Mais les pages de ce livre avaient été brûlées, souillées, déchirées. Les Le Fey avaient perdu leur patrimoine, leur grandeur. Ne restait plus qu'un tas de cendre de cette ancienne gloire. Une révolution. Droite, digne. Prudence délia ses doigts de ceux de sa cadette et contempla une dernière fois le domaine familial. Elle avait passé les plus belles années de sa vie en ce lieu – maintenant celui-ci était à la merci des révolutionnaires. Les Le Fey partaient, chassés alors qu'il s'agissait de l'une des plus vieilles familles françaises. Désormais, leur nom était tâché par une emprunte indélébile d'une noirceur innommable. Son regard clair se porta vers le visage de porcelaine de sa cadette. Leurs regards se croisèrent ; et Astéria, connaissant certainement sa sœur mieux quiconque, comprit ce que les prunelles de son aînée lui signifiaient. Elle avait peur. Héritière du trône français, Prudence avait toujours suivi ce chemin qui, inévitablement, l'aurait menée jusqu'à la royauté. Elle n'avait jamais fait attention à son avenir, aux possibilités qui s'offraient à elle ; elle n'avait même jamais accordé la moindre attention à la gent masculine, croyant innocemment qu'un mariage arrangé l'unirait à un homme qu'elle se forcerait à aimer. En somme, sa vie s'était résumée à tout un monde ; un univers qui, désormais, s'était éclipsé en une fraction de seconde. Son existence avait implosé. Et Prue craignait ces choses, tout ce qu'elle avait ignoré, faute de mieux. Recouvrant enfin toute sa raison, le regard de Prudence se porta une dernière fois sur le domaine familial. Un soupir passa les lèvres d'Astéria ; un doux murmure qui, doucement, vint frôler ses oreilles. « tout va bien se passer, Prue. » la jeune femme plaqua le dos de sa main contre sa bouche entrouverte. Elle ne pleurerait pas, non, pas maintenant. Digne, droite, fière. Elle restait encore la digne descendante des Le Fey ; elle savait se contrôler, ou du moins elle était susceptible de le faire face à ses parents. Ses yeux, pourtant, se voilèrent d'un éclat désappointé. Naïvement, elle était tentée de croire les paroles de sa cadette – elle tendait même à lui offrir sa vie en retour d'un peu de bon sentiment. Mais tout ne se passerait pas bien et pour cause, jamais Prue n'avait auparavant été confrontée à cette absence totale d'objectifs. Elle commençait déjà à regretter bon nombre de ses choix, se disant qu'elle aurait dû être plus prévenante.


La fraîcheur matinale mordait la peau dénudée de ses bras. De petits frissons parcouraient son échine, électrisant sa colonne vertébrale et la plongeant dans une torpeur particulière. Assise sur les marches du perron de la nouvelle maison de ses géniteurs, son regard se perdait dans le vide. Rien, elle n'était plus rien. Inlassablement, cette idée courrait dans son esprit, la chagrinant d'avantage. Elle avait été élevée dans l'optique de gouverner et la révolution avait ébranlé les projets qui l'avaient poursuivie toute sa vie ; Prudence n'avait jamais songé à d'autres horizons, se focalisant sur ce qu'elle se préparait à devenir. Une sorcière importante, un emblème de la royauté. Mais, dès son plus jeune âge, elle aurait dû se douter qu'elle ne parviendrait jamais qu'à frôler son objectif du bout de ses doigts tremblants. A l'âge de seize ans, il y a dix ans de cela, la digne héritière de la famille Le Fey fut envoyée à Lungard. Un sentiment de révolution dardait déjà le peuple et, dans le but de protéger l'héritière du trône, les parents de Prue l'envoyèrent vers d'autres cieux. Un ciel plus clair, et plus pluvieux, que celui de la France l'accueillit. En revanche, rien ne fut capable d'apaiser les tensions dans le pays qui l'avait vue naître, grandir, évoluer ; bientôt, une révolution naquit, balayant d'un revers de main les fondations de l'existence de Prudence ou, plus largement, des Le Fey. Prue n'était plus une prétendante au trône ; dorénavant, seule sa chevelure flamboyante était susceptible de la différencier de ses pairs. Ses cheveux. Rien d'autre. Les bruits de pas de sa sœur n'éveillèrent en rien son attention. « il fait froid. » la voix chaude, fluette, d'Astéria la fit hocher la tête. Le bras de sa cadette s'enroula autour de ses épaules nues, sa joue se calant également contre l'une d'entre elles. Depuis deux ans, Astéria lui répétait inlassablement la même chose ; on va réussir, on va y arriver. Mais Prudence n'était pas comme sa sœur, cette dernière était touchée d'un optimisme que son aînée ne parvenait pas à partager. Non, elle n'y arrivait pas. Prue passa le dos de sa main contre ses lèvres entrouvertes. Ses paupières papillonnèrent un instant. Soudain, elle se dégagea de l'étreinte tendre de sa cadette, se levant et dévalant le perron. Ses pieds nus s'écorchaient sur le sol. Elle fit alors volte-face, les joues rougies – les yeux baignés de larmes contenues. « j-j'y arrive pas » elle se replia sur elle-même, croisant les bras en un geste de défense. Ses mèches rousses dansaient autour de son visage dont les traits étaient considérablement froissés. « j'y arrive pas Asté, j-je peux pas » un ricanement écorcha sa phrase. Brutalement, elle plaqua ses deux mains contre ses tempes et secoua la tête en signe de négation ; sa sœur comprenait tout. Elle savait. « t'as dit qu'on y arriverait » elle contracta ses phalanges « mais je peux pas. » sans un mot, Astéria se leva et se jeta sur elle, l'encerclant de ses bras fins. Prudence enfouit son visage larmoyant dans le creux de son cou et gémit. Elle enlaça la nuque de sa sœur, se raccrochant désespérément à son point de chute, à sa sœur cadette. Prue sentit les doigts d'Astéria caresser ses longs cheveux flamboyants. On y arrivera, tu verras. Elles n'étaient plus rien dans le paysage français, elles n'étaient plus dans l'univers de la monarchie. Juste des héroïnes déchues, des cibles à abattre. on y arrivera.

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